
Dans la section « à propos » du blog, je précise que je suis bipolaire mais aussi infirmière en psychiatrie. D’où ce titre un peu énigmatique et qui rappelle plus le vilain de DC Comics au premier abord. J’avais envie de préciser un peu plus, l’impact de ce double fait sur ma vie autant personnelle que professionnelle.
J’ai donc cette double casquette, mais chacune reste secrète en fonction de l’identité que je me dois de porter. Vous vous doutez bien que quand je porte ma blouse, je ne vais pas hurler que je suis bipolaire, les traitements que je prends, ça deviendrai vite invivable pour les patients mais aussi pour moi. Mais, dans certaines situations, cette distance est difficile, comme par exemple, quand un patient me dit qu’il n’en peut plus et qu’il n’arrivera jamais à sortir de l’hôpital, qu’il est fini. Dans ces moments là, oui j’ai envie de lui dire, de tout avouer, de lui raconter mon histoire. Pourtant, j’ai déjà été confronté à une situation où un patient a vu mes scarifications au bras (très légère et ancienne donc peu visible) et il m’a juste dit « Ah! Vous aussi! (me montrant mon bras) Vous pouvez me comprendre donc… » J’étais gênée et je me suis juste entendu lui répondre « Un peu, oui… », à aucun moment j’ai démenti, je n’y ai même pas pensé en réalité. La relation soignant-soigné n’a pas changé radicalement sauf qu’il venait plus facilement se confier à moi et se posait plus avec moi dans mon petit poste de soin. J’ai senti que ça lui faisait du bien d’avoir quelqu’un qui pouvait comprendre son ras-le-bol mais aussi son sentiment d’emprisonnement et de ne pas voir le bout. Mais, bizarrement, il m’en a plus jamais parlé et n’en a parlé à personne, ce qui m’a assez étonné, c’était comme s’il respectait mon choix d’avoir cette double face.
Je pense que c’est le plus dur dans tout ça, de devoir garder le secret absolu. Il y a un intérêt bien sûr, éviter les transferts des patients sur moi, l’inversion des rôles parfois mais c’est impossible d’oublier une partie de mon vécu pendant 8h, mettre une distance, oui, mais inévitablement, il y a des moments, des mots qui font rejaillir des souvenirs ou des sensations.
Bon, je vais pas mentir, ça m’apporte aussi un point de vue différent de mes collègues qui n’ont aucuns liens avec la psychiatrie. Je vais peut-être mettre moins de distance dans mon comportement ou dans les mots que j’utilise, je ne vais pas les chercher à les convaincre qu’il faut se battre absolument, ne jamais baisser les bras, que « il n’y a plus qu’à… », que tout est une question de volonté et autres phrases ou attitudes que j’ai pu rencontré. Par mon passé, j’ai été hospitalisé donc l’ennui, le sentiment que les soignants s’en contrefoutent royalement de moi, qu’au final je suis « folle », tout ça je connais très bien et il m’arrive encore de le penser. Je n’ai rien contre mes collègues parce que je sais la distance qu’il faut avoir pour ne pas finir consumer par l’histoire du patient en face de soi.
Cette image du patient « psy » je l’a porte en moi, j’ai vécu ce parcours, la solitude, l’incompréhension, les rechutes, la sensation de ne jamais pouvoir en sortir, la médication à tout bout de champ, la lassitude aussi. Et, il ne faut pas oublier l’impact sur ma famille et mes amis, que je le veuille ou non, ils sont aussi durement touchés et parce que je connais le pouvoir destructeur de ma maladie sur eux, très souvent je passe sous silence ce qu’il m’arrive. Autant pour éviter qu’ils souffrent mais aussi par pur égoïsme, éviter de gérer leur angoisse, leur questionnement, leur protection parfois étouffante.
La cohabitation de ces deux rôles est parfois difficile, surtout à cause du secret que je dois m’imposer d’une part pour éviter que ça déborde sur mon travail infirmier et que la relation soignant-soigné échoue mais aussi qu’autre part à cause du double stigma infirmière chez les « fous » et être « folle » soit même. Bien sûr, les gens vont penser que c’est parce que je suis bipolaire que FORCEMENT, je suis aller dans ce domaine. Oui et non. Oui parce-que j’ai envie de soutenir comme j’ai été soutenu par des équipes soignantes mais en même temps, non, car parfois j’en souffre et c’est plus mon obsession pour le comportement qui va me pousser à rester dans ce milieu. Cela vient de mon besoin de comprendre les gens autour de moi et d’être capable de voir à travers eux. Ce dernier point est plus lier à mon passé où j’ai eu des jugements sévères sans connaitre la personne, sans comprendre que certaines attitudes pouvaient avoir des explications et, pour avoir vécu ces jugements par la suite, je me suis senti honteuse et inhumaine. Ce réveil un peu brutal que je n’étais pas omnisciente et que je n’avais pas la science infuse m’a poussé à m’intéresser à la psychologie, la sociologie et d’autres sujets pour avoir des réponses et surpasser ma réflexion assez simpliste. Et petit à petit, c’est devenu un réel intérêt voir parfois une obsession. C’est un peu égoïste? Peut-être bien.