Surveillance et Routine : Clés pour Gérer le Trouble Bipolaire

Deux personnes assises sur un banc dans un parc, regardant le ciel bleu parsemé de nuages blanches. À côté, deux vélos sont stationnés sur l'herbe verte.

Big spoiler : vivre avec un diagnostic de trouble bipolaire n’est pas une condamnation. C’est le début d’une gestion rigoureuse de ma santé. Et ce que j’ai appris, y compris grâce à mon travail d’infirmière en psychiatrie, c’est que mon corps et mon esprit travaillent en équipe. La clé pour moi, c’est la double surveillance pour garantir ma stabilité à long terme.

1. Cartographier Mon Humeur : L’Art de l’Anticipation

Ma première priorité est de maîtriser mes sautes d’humeur. Mon motto ? Moins les épisodes sont fréquents et intenses (manie, hypomanie, dépression), plus mon système nerveux est protégé et plus ma vie est stable.

L’outil le plus fiable n’est pas un médicament, c’est mon observation quotidienne formalisée dans un journal ou une application de suivi d’humeur.

Dans mon journal de bord, je suis les paramètres suivants, notés de 1 à 10 :

  • Humeur générale : (1 = très dépressif, 10 = très euphorique/manique).
  • Sommeil : Heure de coucher, heure de lever, qualité (nombre d’heures réelles).
  • Niveau d’énergie / Activité : (Exemples : a écrit 10 pages, n’est pas sorti du lit).
  • Stress / Relations : (Exemples : Discute avec un ami, Irritable).

Ce journal me permet de repérer les schémas qui précèdent l’épisode, mes véritables « Drapeaux Rouges » :

Vers le Haut (Manie/Hypomanie)Vers le Bas (Dépression)
Le sommeil diminue (passer de 7h à 4h de sommeil sans fatigue).Le corps est lourd (augmentation du sommeil ou sommeil très fragmenté).
Augmentation soudaine des projets/loisirs ou des dépenses impulsives.Difficulté à initier l’action (laisser la vaisselle ou les poubelles s’accumuler).
Irritabilité ou impatience extrême (couper la parole, s’énerver pour un rien).Retrait social (ignorer les appels ou annuler les rendez-vous).
Parole rapide et abondante (mon entourage le remarque).Sentiment de culpabilité, d’échec ou d’inutilité.
Augmentation des comportements risqués (alcool, jeux).Perte d’intérêt ou de plaisir (même pour les activités ou nourritures préférées).

Il est aussi très important de noter les éléments de vie importants (positif ou négatif), il s’agit d’une certaine conclusion de la journée et cela me permette aussi de noter les éléments de stress que j’ai pu relever sur le mois (disputes, surcharge de travail, nombre de sorties/soirées …) pour identifier les corrélations. Mon humeur réagit aux évènements certes mais aussi au manque de contrôle ou au surmenage.
Mon journal est interne, mais mes proches voient des choses que je manque. Quand je repère des scores alarmants, je n’hésite pas à demander à une personne de confiance (conjoint, ami) : « Est-ce que tu me trouves plus rapide/irritable/silencieuse que d’habitude ? » Leur regard extérieur, bienveillant et honnête, peut valider mon intuition et m’aider à décider plus rapidement de contacter mon médecin.

Vous allez me dire que c’est plutôt simple mais, il y a quelques embuches. Un, cela prend du temps tous les jours au début, avec le temps, je ne fais qu’un petit check mental mais dès que je sens que ça « déraille » un peu, je reprends le bon vieux journal. Deux, l’honnêteté, ne pas se mentir à soi-même. Personne ne lira ce journal si je ne le décide pas mais il est tellement facile d’enjoliver le quotidien pour se rassurer qu’on passe vite à côté de l’exercice. Et trois, il faut véritablement prêter attention à sa journée qui commences en réalité la veille au coucher.

Le Pouvoir de la Routine

En plus de cartographier mes humeurs, j’ai remarqué que j’avais besoin d’une routine. Elle n’est pas rigide, mais elle repose sur des axes très simples : le sommeil et l’emploi du temps régulier.

  • Je me fixe des heures de coucher et de lever constantes, même le week-end. C’est la règle d’or, car le sommeil est le premier régulateur de mon cycle.
  • J’essaie d’avoir des heures régulières pour les repas, l’activité physique et même les tâches simples. Ce cadre prévisible réduit mon anxiété et permet à mon cerveau de fonctionner de manière plus économique.

Petit aparté pour les horaires irréguliers (Soignants, etc.) :

Si, comme moi, votre métier impose des horaires changeants, la routine « calendaire » est impossible. Je la remplace par une routine d’actions séquentielles :

  • Le Sommeil : Un Non-Négociable : Je protège mon temps de sommeil. Si je rentre à 7h du matin après une nuit de travail, mon objectif est de dormir le nombre d’heures nécessaires et de minimiser la lumière et le bruit pendant cette période.
  • La Routine « Post-Travail » : Peu importe l’heure, je crée un rituel de détente de 30 minutes avant de dormir (Exemple : 15 min de lecture + douche tiède + prendre mes médicaments).
  • La Routine « Réveil » : Peu importe l’heure du réveil, je commence toujours par les mêmes gestes (Exemple : Hydratation immédiate + prendre mon traitement + petit déjeuner).

Une chose que je n’arrive pas trop à intégrer dans mon quotidien mais dont beaucoup d’études scientifiques discutent est la gestion de la lumière. Dernièrement, j’essaie de dormir dans une pièce avec des volets ou des rideaux occultants pour simuler l’effet jour/nuit. Mais cela reste compliqué n’ayant pas de difficulté à m’endormir la journée…

Quand je repère une séquence de 3 jours avec des scores alarmants dans mon journal, ma première réaction est de doubler d’effort sur ma routine (sommeil, repas, activité). Je me concentre à revenir à mon cadre stable. À l’heure actuelle, j’attends environ 10 jours avant de contacter mon psychiatre ou mon médecin traitant si l’humeur ne s’est pas stabilisée ou continue de dériver, mais, si vous débutez, je vous conseille de ne pas attendre plus d’une semaine avant de prendre contact avec un professionnel de santé.

2. Surveillance Physique : Prévenir les Risques Somatiques

Ce point est essentiel pour garantir un bon vieillissement. Le stress de mes cycles et l’effet à long terme de mes médicaments peuvent augmenter le risque de maladies physiques (somatiques) associées à la bipolarité.

Je surveille de près les éléments suivants :

  • Le Métabolisme (Diabète et Poids) : Malheureusement, je vis déjà avec le diabète de type 2. Certains stabilisateurs de l’humeur et d’autres traitements peuvent rendre ma gestion du sucre plus difficile et favoriser la prise de poids. Cette interaction entre diabète et bipolarité exige une surveillance renforcée.
    Action: je suis très rigoureuse sur le suivi régulier de ma glycémie (taux de sucre dans le sang), tel que prescrit par mon diabétologue. Je m’assure également de surveiller mon poids, je considère aussi mon alimentation et mon activité physique comme une partie intégrante de mon traitement
  • Le Cœur (Risque Cardiovasculaire) : Le stress chronique et les effets de certains traitements peuvent impacter ma pression artérielle et mon cholestérol.
    Action : Je contrôle ma tension artérielle et demande un bilan sanguin régulier pour le cholestérol.
  • La Thyroïde : Le Lithium peut affecter la thyroïde. Un dysfonctionnement thyroïdien peut imiter ou aggraver ma dépression ou ma manie.
    Action : Un bilan sanguin régulier, souvent inclus dans mon suivi psychiatrique, permet de vérifier le bon fonctionnement de ma thyroïde.
  • Le Foie et les Reins : Certains stabilisateurs de l’humeur (comme le Valproate ou le Lithium) nécessitent un suivi particulier de la fonction rénale et hépatique.
    Action : J’assure le suivi des dosages sanguins (lithémie) et des bilans hépatiques/rénaux aussi souvent que mon médecin le prescrit. Ces analyses permettent de vérifier que mon corps supporte bien les médicaments sur le long terme.

3. Les Outils de Stabilité au Quotidien

Je dispose d’outils simples pour gérer au quotidien :

  • Le Traitement: Je ne dois jamais oublier que l’observance thérapeutique – prendre mon traitement exactement comme prescrit – est la fondation inébranlable de toute ma routine. Mes efforts sur le sommeil, la diète et le sport sont des soutiens puissants, mais ils ne remplacent pas l’effet biochimique du traitement. Quand tout va bien, le risque est d’arrêter ou de diminuer les doses : c’est le moment le plus dangereux. Je me rappelle que je prends mon traitement parce que ça va bien, et non l’inverse.
  • L’Activité Physique: Le mouvement est un excellent régulateur. Trente minutes de marche par jour suffisent. J’aide ainsi à gérer le stress, à mieux dormir et à soutenir ma santé cardiovasculaire. J’accompagne cela d’une bonne playlist musicale ou de prendre des photos pour que cela passe encore plus rapidement et devienne aussi ludique. Les podcasts sont aussi un bon plan mais pour moi, s’il dure plus de 10 min je décroche donc ce n’est pas mon premier choix.
  • L’Alimentation Anti-Inflammatoire (lien) : Je nourris mon cerveau. C’est essentiel, car l’inflammation chronique est de plus en plus liée aux troubles de l’humeur dans les dernières études que j’ai lu. Ce n’est pas un régime strict, mais un mode de vie qui favorise les aliments qui « calment » le corps et l’esprit. J’essaie de diminuer les aliments transformés (lien) qui créent des pics de sucre bien plus importants qui dérèglent mon métabolisme. Ensuite, je vais miser sur les omégas 3 (lien) via une supplémentation (en accord avec mon médecin) et je m’efforce de manger plus de poisson gras. Pour finir, je fais très attention à mon hydratation parce que j’ai une tendance à passer une journée en buvant à peine 500ml et cela impacte ma concentration et mon humeur sur le long terme.
  • La Coordination des Soins : Mon médecin traitant est pleinement informé de mon traitement psychiatrique. Il est le pivot pour organiser les bilans sanguins nécessaires et assurer le suivi de ma santé physique.

4. Gérer l’Identité

Je le sais, le trouble bipolaire peut parfois se sentir comme une étiquette qui nous colle à la peau. Pour bien vieillir, il est crucial de ne pas se définir uniquement par la maladie.

  • « La Terreur du Futur » : Il est facile de se laisser paralyser par la peur de la prochaine rechute. Cette peur peut nous empêcher de faire des projets à long terme (voyages, carrière, etc.) par crainte d’être « trop instable ».
    Action : Je me fixe des objectifs réalistes à court et moyen terme, sans me laisser voler mes rêves par l’anticipation de la maladie. Je me rappelle que mon traitement et ma routine sont mes garanties pour l’avenir.
  • Ne pas s’isoler par Honte : En tant qu’infirmière, je vois souvent la honte et la stigmatisation interne amener les gens à s’isoler. Or, l’isolement est un déclencheur connu.
    Action : J’ai choisi de rester connectée à des personnes qui connaissent ma maladie (mon cercle de confiance). Je m’autorise à être vue comme une personne complète, avec mes passions, mes compétences… et mon trouble. Je suis une personne qui a la bipolarité, je ne suis pas la bipolarité.
  • Valoriser la Connaissance : J’utilise la compréhension détaillée de mes émotions et de mon corps, que j’ai acquise en cartographiant mon humeur, comme une force. Peu de gens se connaissent aussi bien.
    Action : Je reconnais cette connaissance de moi-même comme une compétence de vie unique que j’ai développée grâce à mon parcours.

5. Un Dernier Outil : L’Auto-Compassion

J’ai appris que le trouble bipolaire est une course de fond, et il est impossible de ne jamais trébucher. C’est pourquoi j’ai intégré un outil essentiel : l’auto-compassion. Je me rappelle que la perfection n’existe pas. Il y aura inévitablement des jours où ma cartographie sera un gribouillis et où ma routine sera perturbée. L’important n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever sans se juger. Je remplace la critique interne (« Tu as tout gâché ! ») par la bienveillance (« C’était un mauvais jour, mais tu recommences demain. »). La vraie résilience n’est pas l’absence de rechute, mais la capacité de reprendre sa routine le jour suivant. C’est ça, la victoire à long terme.

Quelle petite action « physique » allez-vous intégrer cette semaine pour soutenir votre stabilité mentale ?

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