
Avant de commencer, ce billet va parler de violence physique et psychologique, je vais parler de mon expérience personnelle, ce que j’ai vécu, si vous n’êtes pas à l’aise avec ce sujet, n’hésitez pas à arrêter votre lecture à tout moment. Je relate, ici, mon expérience en tant qu’infirmière, mais, je crois que tout le milieu est concerné: médecin, aide-soignant, ASH, AP …
Mes chers collègues, si vous avez vécu des situations similaires, sachez que vous n’êtes pas seul, n’hésitez pas à en parler autour de vous et à ne pas banaliser le sujet.
Je travaille depuis mes 18 ans (pour rappel j’en ai 33 en cette belle année de 2023) dans le milieu hospitalier (ASH, aide-soignante et depuis 2014 infirmière) et j’ai la chance d’aimer ce que je fais et de n’avoir aucune envie de changer. J’y suis bien, cependant, cela ne veut pas dire que je n’ai pas eu de mauvais jours, voir des jours traumatiques, en prenant du recul, ils sont mêmes nombreux. Laissez moi vous faire un petit tour d’horizon dans un des aspects les plus tabou des métiers de la santé. Récemment, j’ai eu une prise de conscience grâce à mon suivi psychologique mais aussi à force d’encadrer des étudiants qui sont venus me parler de leur difficulté. Ils sont venus presque en s’excusant, à reculons et cela m’attriste pour eux et, par ricochet, j’ai commencé à regarder différemment mes collègues, à les écouter raconter leurs expériences et je ressens leur douleur mais ils gardent le sourire comme si de rien n’était.
La violence la plus évidente, et dont on entend parler via les faits divers, c’est celle qui est physique. J’ai été bousculée, j’ai reçu des coups de pieds, des coups poings, j’ai été menacé par arme blanche … Plusieurs fois, on m’a demandé d’où venait certains bleus, mes réponses étaient laconiques et pouvaient se résumer à « oh, j’ai eu une journée un peu compliquée ». Les rares fois où je décrivais ce que j’avais vécu, j’ai toujours eu le fameux » mais quittes ce métier ! » et, également, beaucoup d’inquiétude exprimée par mon entourage. J’ai également vu des collègues en sang, être frapper et étrangler, criant qu’on les aide. A chaque alarme déclenché, toujours cette peur de voir un collègue au sol, d’arriver trop tard.
Ces moments m’ont marqué à vie, je m’en souviens comme si c’était hier. Est-ce que j’ai eu peur pour ma vie? Oui, une peur terrifiante qui parfois refait surface dans mes cauchemars, même après des années. Je pense que mon expérience la plus terrifiante est quand j’ai été suivie par un patient en sortant de ma nuit au urgence, patient avec qui ce fut très houleux. Je ne sais pas si je peux parler de violence physique à proprement parler, mais c’est le moment où j’ai senti mon intégrité physique la plus menacée et heureusement que je prenais les transports en communs, je crois que je ne remercierai jamais autant les connexions entre lignes de métro et la facilité de pouvoir monter dans un bus. J’ai mis 4h à rentrer chez moi, mais au moins j’étais sûr qu’il n’était plus derrière moi. Depuis, mon leitmotiv c’est de ne jamais habiter près de mon lieu de travail, le plus loin possible c’est mieux.
Il existe une autre violence physique cependant, la plus controversée et difficile à aborder. Celle que j’inflige parfois et j’aurai beau me dire et entendre autour de moi « je n’avais pas vraiment le choix », je ne vois pas d’autre manière de la considérer. Par exemple, le truc tout con comme une simple prise de sang peut se relever une torture pour un patient, mais il faut le faire sinon comment savoir ce qu’a la personne? J’ai contentionné des patients, les aient maintenus au sol … Toujours cette même nausée après, qui peut durer des jours, je me suis détestée bien des fois, remise en question, me demandant qu’elle a été mon erreur, qu’est-ce que j’aurai dû faire différemment. Je suis démunie et j’aimerai pouvoir trouver la solution miracle à ces instants.
Ensuite, la seconde, est la violence psychologique. Et alors, celle là, je l’a vis très souvent au point de me demander s’il n’y a pas une semaine où elle n’apparaît pas et le plus compliqué, c’est qu’il y a différents niveaux et qu’elle est intrinsèque à mon métier.
La plus évidente, et qui doit vous venir en tête, se fait via les insultes, les cris, le mépris, les menaces verbales… J’ai vite arrêter de prêter attention aux « connasse, salope », les attaques sur le physique, puis il y a celle qui sur le moment sont dure à digérer comme les menaces de viols sur moi-même et/ou mes collègues, mais très vite, il faut passer à autres choses, je dois soigner cette personne.
Mon humanité a été en remise en cause parce que j’ai refusée de donner un traitement ou que par protocole, non vous ne pourrez pas voir votre mari. J’encaisse, c’est normal, c’est une situation compliquée.
Là, je vais vous parler de la violence psychologique la moins évidente, celle de la maladie. Vous allez me rencontrer dans le pire moment de votre vie, votre proche sera dans une situation difficile, on vous aura annoncé une mauvaise nouvelle. On le sait, vous serez en colère, en pleurs, inquiets, apeurés, isolés, il n’y a pas un seul soignant qui n’a pas conscience de cette réalité. A l’école, on me l’a répété en boucle, la maladie est « un coup de tonnerre dans un ciel serein », et ma petite blouse arrive à ce moment-là, à 10000 lieues de votre réalité intérieure. Or, je ne dois pas montré que je suis touchée, je dois restée professionnelle, ne pas pleurer, ne pas partir en courant. Il n’y a qu’une seule solution, encaisser tout en restant humaine, un art très subtil et qui s’apprend durement sur le terrain. J’ai rencontré des personnes ayant subis des agressions sexuelles/ des violences, des patients ont eu l’annonce d’une maladie grave, des personnes sont décédées et j’ai vu leur famille s’effondrer. Sur le moment, j’étais sonnée mais il fallait continuer. Prendre un collègue dans les bras, aller faire un tour aux toilettes pour souffler 5 min/ fumer une clope/ se faire un café, raconter une blague pourrie/utiliser l’humour, voilà quelques mécanismes qui se mettent en place. Je pourrai vous raconter mille moment difficile, pendant des heures voire même des jours entiers. Or, le plus dur, c’est de savoir que ça sera toujours comme ça, quoiqu’il arrive, cela fait parti du décor, c’est mon métier qui le veut.
Pour tenir, la violence est banalisée, j’ai eu beaucoup d’échange avec mes collègues ( aah les fameuses pauses clopes/café !) et il y a cette fragilité, ces souvenirs traumatiques qui planent sur nous. Au final, sur le moment on en discute, parfois le cadre va en discuter avec nous, on va revenir dessus une ou deux fois puis on passe à autre chose. Il n’y a pas de suivi au long cours, pas de vrai espace où tout déposer. Oh, il y a bien la psychologue de la médecine du travail mais ça serait mal vue si quelqu’un nous voyait rentrer dans son bureau. Les collègues vont croire qu’on est fragile et ça c’est impossible, il faut être fort, encaisser sans broncher, continuer quoiqu’il arrive. A l’école, rien sur la gestion émotionnelle, comment gérer ces moments là, si un patient est violent c’est pas forcément contre nous mais contre ce qu’on représente. Je pense que c’était la manière des formateurs de nous rassurer, c’est la fonction qui est touchée pas la personne. En plus de me sentir invisibilisée, en réalité, sur le terrain, dans le « feu de l’action », je le prends pour moi ! C’est moi qui suis insultée, bousculée et qui voit la colère des gens ! De même, c’est moi qui ai envie de pleurer quand j’entends des parcours de vie horrible, c’est moi qui ai peur de tel patient, c’est moi qui se force à sourire et à réconforter alors que je veux juste rentrer chez moi. Mais motus, je n’en dirai rien, imaginez qu’on remette en cause mes compétences professionnelles! Ma manière de gérer est de me dire que j’abuse un peu, c’était pas si grave, c’est le moment qui veut ça, que ce que je ressens est déplacé.
Bref, je passe mon temps à fuir mon ressenti, comme bon nombre de mes collègues et à croire à 2000% que soit j’ai déconné soit qu’il faut que je m’endurcisse.
Ok, donc dans mon travail, c’est la politique de l’autruche. Mais je pourrai en parler à mon entourage me direz-vous.
La vérité? Je vais parler que des moments un peu drôle ou saugrenue, sinon ça se finit en « journée difficile » sans trop raconter. Cela vous surprend? Comme je l’ai écrit plus haut, j’ai déjà fait le grand déballage à un copain, une amie … Je me suis sentie bien sur le moment, mais, face à la réaction des dites personnes, très vite, j’ai compris qu’il fallait pas non plus trop répéter cette situation. Imaginer que presque tous les jours, je vous relate qu’un patient m’a insulté ou que j’ai dû entendre une personne décrire les violences qu’elle a subis ou qu’il y a eu un appel à renfort et que j’ai dû attacher un patient ou qu’une collègue s’est fait suivre par un patient ou qu’un jeune a fait une tentative de suicide et qu’il a des conséquences irréversibles ou que j’ai dû me contenir face aux remarques déplacées d’une personne alcoolisée ou juste vous parler de la maladie tout court… Je pense que vous passeriez votre temps à vous inquiétez pour moi et à craindre mes jours de travail, pas très sain au long cours.
Il n’existe pas vraiment de lieu pour se décharger, je me le suis trouver par la force des choses et grâce à ma maladie mais parfois je me demande comment je serai sans ça, comment aurais-je affronter tous ces souvenirs douloureux, avec qui aurais-je pu analyser ses moments en restant un peu objective … Il m’arrive de me demander si je suis encore normale dans mes réactions parce qu’il n’est pas rare que je m’entende dire que je passe en mode « soignante » et que personne ne me demande ce que j’entends par là. Une sorte d’évidence où il n’y a pas besoin de définir, mes collègues comprennent et me racontent leur propre passage dans ce mode.
Mon métier est particulier, peu compris dans sa réalité quotidienne mais reconnu pour son utilité. Mais, il abîme, je me blinde régulièrement contre toutes sortes de violences, mon humour peut être particulier parce que c’est devenu mon mécanisme de défense et dans ma vie hors hôpital, le travail moins j’en parle mieux c’est. L’apprentissage se fait sur le terrain, les limites physique et psychologique sont souvent outrepassées (je dirai même parfois explosées) et je ne suis jamais surprise quand j’apprends qu’un collègue se reconvertit professionnellement parce qu’il en peut plus, qu’il est en burn-out.
Heureusement, il y a de bons moments, cela doit être la raison qui permet à mes collègues et moi de tenir.
Prenez soin de vous,
Nelly