Ne pas se reconnaître après une crise et la honte de la maladie

Image de Liviu Gorincioi

En tant qu’infirmière en psychiatrie, il y a des sujets dont je discute à peu près tous les jours et même plusieurs fois par jour: éviter une rechute, apprendre ces symptômes annonciateurs d’une crise, les traitements … En effet, ces sujets sont extrêmement important et loin de moi l’idée de diminuer leur importance mais avant d’en arriver là, souvent, mes patients (et moi-même) il faut passer par la réalité de ce qui s’est passé avant d’arriver en hospitalisation. Si je prends mon cas, les actions comme éviter les contacts, ne pas aller au travail, dépenser mon argent n’importe comment ou avoir des conduites risquées entraînent forcément quelques confusions que un sujet existentiel: Qui suis-je? Dans mes moments de crise, je ne me rends pas compte des conséquences de mes actes et mon entourage va me raconter ce qu’ils ont vu ou vécus. J’appelle cela un moment boomerang, la réalité revient en pleine face et donc, on questionne son identité face à ce qui nous est rapporté.

Je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé mais, imaginer, avoir une personne extérieure vous raconter votre attitude, vos paroles et vos interactions et durant tout l’échange, la seule chose qui vous vient en tête c’est, « Elle me raconte des conneries, j’ai jamais été comme ça! C’est pas moi! ». Peut-être si vous avez eu une soirée plutôt chargé en alcool, cette situation vous est arrivé. Or, contrairement à une soirée trop arrosée, la décompensation ne dure pas quelques heures mais plusieurs jours voir semaine et est progressive. Petit à petit, le comportement s’aggrave, les prises de risques augmentent, les interactions changent, l’humeur change aussi. Tout le monde le note, mais, pas forcément la personne qui vit cette récidive, surtout les premières fois.

A un certain point, la personne va finir chez son médecin ou aux urgences, commencer ou recommencer un traitement et les symptômes vont commencer à diminuer. Là, il faut faire face aux souvenirs parfois un peu brouillon, les souvenirs de l’entourage et si on finit à l’hôpital psychiatrique, il faut affronter d’être présent dans ce lieu et les évènements racontés par les soignants.

La première réaction est le refus le plus total, jamais on a été comme ça, jamais on agirait comme ça, jamais on aurait prononcés ces paroles. On ne se reconnaît pas et il faut affronter cette image qui semble être celle de quelqu’un d’autre. L’image renvoyée, étrangement, n’est jamais aimée. Même si, en phase hypomaniaque, j’adore le souvenir que j’en ai, quand mon entourage m’en parle… il me faut faire face à mes sautes d’humeur, mes colères, mes projets dans tous les sens et j’en passe. Cette attitude là, je ne l’aime pas du tout et il était impensable que je puisses ressembler à « ça ». L’impression d’avoir une autre personne en soi est très souvent citée pour expliquer ces moments et moi-même, j’ai ce ressentie. Cet autre moi est capable de pas aller au travail sur un coup de tête ou de dépenser plusieurs centaines d’euros pour un cadeau alors que le « vrai moi » serait plus réfléchi ou effectuerait ses obligations.
La seule approche qu’on en a en tant que soignant c’est d’expliquer via le spectre de la maladie, c’est pas vraiment « soi » mais le « soi malade ». En soit, ça n’aide pas à enlever cette sensation d’avoir une personne étrangère dans son corps et qui apparaît de temps en temps. Mais, c’est extrêmement difficile de ne pas vivre ces instants ainsi. Dans les premières années de ma maladie, je me souviens qu’on me le présentait comme ça, c’était mon moi dépressif qui me poussait à essayer de me suicider, or, les souvenirs étaient tellement affreux pour moi que j’en ai développé une peur absolue de redevenir le « moi dépressif », de redevenir cet autre. J’ai mis énormément de temps à reconstruire mon identité propre, en incluant ces deux autres, mon moi dépressif et mon moi hypomaniaque. Ils font partis de moi mais ne me définisse pas. J’ai dû apprendre à ne pas ma réduire à ces deux états et redécouvrir ce qui me définissait, mes valeurs, ma personnalité, mes envies…

Un des plus gros problème que j’ai rencontré sur ma reconstruction identitaire, et je le vois encore dans les prises en charge, certains soignants vont culpabiliser la personne. Prenons l’exemple des tentatives de suicide, très souvent l’emphase va être mise sur, « penser à votre entourage », « vous avez blessé telle personne », j’ai même entendu que c’était « égoïste ». Pour être franche, cela ne m’a jamais aidé une fois que je commençais à aller mieux, au contraire, la culpabilité finissait par se transformer en honte.
Il ne faut pas diminuer l’importance de cet acte, attention, mais il y a des manières de l’amener je pense. Il faut déjà s’assurer que la personne est prête à l’entendre et y aller par étape. Leur demander ce qu’il pense de leur geste, s’il comprenne la réaction de leur famille par exemple… Balancer de but en blanc qu’on est égoïste et qu’on a fait mal à un être cher, c’est d’une violence inouïe. Alors que, juste avant, on explique que c’est pas vraiment soi mais la maladie.

A force de dramatiser ces moments, le sentiment de honte s’installe durablement. La honte d’être ainsi, d’avoir ça en soi, de perdre le contrôle de soi. Autant, ne pas se reconnaitre, peut pousser à faire plus attention, à traiter le problème quand on a surpassé l’étape du déni. Autant, la honte est le sentiment le plus dangereux à mon sens. A cause d’elle, parler du problème devient plus difficile, on garde pour soi nos sentiments et on essaie de gérer seul, dans son coin. Pourtant, ça ne fonctionne pas trop bien et forcément une autre décompensation arrive. Or, cette émotion est très difficile à gérer et il existe deux attitudes, soit ça booste à changer soit on fuit au maximum, résultant à se mettre des œillères et fuir la réalité. Par conséquent, fuir la maladie.
En plus du milieu soignant, j’ai dû aussi affronter les a priori de la société sur le sujet de la maladie mentale, comment vous expliquer que mon sentiment de honte de départ c’est transformé en une sorte de terreur? Peur absolue de rechuter, qu’on découvre ma maladie, que je sois anormale… Rien n’est fait pour diminuer ce sentiment de honte, bien sûr, il y a des tentatives de déstigmatisation mais, je pense n’être pas la seule à le ressentir, je n’ai pas l’impression que ce sujet bouge énormément. Vu ce que je lis, regarde à la télévision ou entends dans mon quotidien, ce sentiment de honte revient par moment et ce, malgré que je sois moi-même soignante.
Or la honte ne produit que deux choses, se cacher et se taire. Mais, cela n’a jamais aidé personne.

Depuis que j’ai fait un pas dans le monde de la psychiatrie en tant que patiente, il n’y a rien de plus difficile sur le long terme que de reconstruire une identité propre et faire face au regard des autres. Est-ce le milieu psychiatrique qui m’a aidé? Non. Mes pairs m’ont aidé à sortir du refrain « je suis folle » et reprendre confiance en moi. Les groupes de paroles m’ont permis de me sentir moins seule face à mes questions et parfois, ces même groupes m’ont permis de trouver des réponses. Le milieu psychiatrique m’a aidé à maîtriser ma maladie, pas à sortir de mon idée d’être inapte ou de sortir de ma honte. Parfois, elle l’a même entretenu. Mais, en voyant des personnes bipolaire comme moi, avancer dans leur parcours, affronter leur quotidien et en discuter librement, je me suis sentis entendu, soutenu et comprise. J’ai pu, par conséquent, sortir petit à petit de ma torpeur et m’envisager autrement au fil des années. Je ne les remercierai jamais assez pour cela.

J’espère que cet article vous a intéressé,
Prenez soin de vous,
Nelly


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s